Arrivée il y a treize ans au Royaume-Uni, Caroline, une Congolaise, n’a toujours pas réussi à régulariser sa situation. Elle (sur)vit comme elle peut redoutant l’expulsion. L’Angleterre qu’elle avait tant fantasmée est devenue son cauchemar au quotidien.
*Les prénoms ont été changés
« Laisse-moi voir ce que je peux faire, ma chérie ». Caroline, à l’accueil de l’ »Asylum Link Merseyside » (ALM) une association d’aide aux migrants, basée à Liverpool, dans le nord de l’Angleterre, se lève de son siège pour trouver un interlocuteur à une femme congolaise qui vient d’entrer dans les locaux à l’heure de la fermeture.
Caroline frappe à la porte du bureau d’un avocat, spécialiste de l’immigration, à quelques mètres d’elle. Elle veut s’assurer que la jeune femme pourra parler à quelqu’un aujourd’hui. « Quand une personne franchit la porte de notre association, c’est qu’il se passe quelque chose de grave », explique-t-elle. « Pauvre femme … Elle paraît épuisée », ajoute-t-elle en la regardant.
La compassion de Caroline pour la nouvelle visiteuse n’a rien d’étonnant. Originaire du Congo-Brazzaville, Caroline connaît elle aussi la galère, la vie à la rue. Elle n’a pas de papiers. Une situation administrative chaotique qui ne l’empêche pas de donner de son temps à l’ALM, deux fois par semaine. « Quand je viens ici, je me sens utile. J’oublie un peu mes problèmes ».
Dans les locaux de l’association, au sein du presbytère de l’église Saint-Anne, il règne une atmosphère singulière teintée de gentillesse et de tristesse, de légèreté et de noirceur. L’endroit est chaleureux, accueillant, il y a toujours quelqu’un pour écouter, donner des conseils, offrir une tasse de thé. Mais il suffit d’y regarder de plus près, de plonger dans le regard de certains bénévoles, comme Caroline, pour y trouver aussi beaucoup de chagrin.
La majorité des migrants qui arrivent enfin sur le sol anglais pensent que le plus dur est derrière eux. Pourtant, c’est souvent la désillusion. Caroline, elle, a déchanté. Elle ne voit plus dans ce pays l’eldorado, la terre promise qu’elle s’imaginait.
« Quand ton dossier est refusé, tu finis à la rue »
Ewan Roberts, le directeur de l’ALM, explique le ressenti de Caroline, via une métaphore. Etre migrant en Angleterre, c’est courir un marathon sans fin le long d’un parcours parsemé d’obstacles récurrents. « Vous courez, vous courez, vous courez, puis vous vous retrouvez face à un mur. Vous l’escaladez juste à temps, vous tombez de l’autre côté, épuisé. Et au moment, où vous commencez à reprendre votre souffle, vous voyez un taureau foncer sur vous. C’est ça la réalité de la vie pour les migrants qui arrivent au Royaume-Uni ».
Caroline est arrivée outre-Manche il y a treize ans. Pendant toutes ces années, elle a essayé de survivre. Quel âge a-t-elle ? Difficile à dire, sans doute entre 30 ans et 45 ans. Elle dit avoir arrêté de compter il y a longtemps. Beaucoup de choses sont difficiles à cerner chez Caroline. À commencer par son corps qu’elle cache sous un large pull noir, et ses cheveux dissimulés sous une casquette. Elle a quelque chose d’éthéré, de fantomatique, comme si elle n’était pas tout à fait là.
Caroline, engagée politiquement dans son pays d’origine, explique être arrivée du Congo-Brazzaville dans les années 2000. Quand elle a atteint le Royaume-Uni, elle a tout de suite demandé l’asile. Au cours des six mois suivants, pendant la procédure, elle a reçu une allocation de 5 livres par jour (environ 6 euros).
Au bout du compte, sa demande d’asile sera finalement rejetée. Elle n’a jamais su vraiment pourquoi. Plus de dix ans plus tard, Ewan Roberts estime que son avocat à l’époque a « fait n’importe quoi ». Lorsque Caroline a vu sa demande rejetée, elle a appelé sa mère restée au Congo-Brazzaville. Cette dernière lui a déconseillé de rentrer, craignant pour sa sécurité.
Caroline sait que sa clandestinité l’empêchera de travailler, elle sait qu’elle n’aura pas d’argent, pas de salaire, qu’elle ne pourra pas trouver un logement. « Quand ton dossier est refusé, tu finis à la rue », dit-elle en français.
« Je ne vis pas la vie que j’avais imaginé »
Les premiers temps, Caroline trouve un lit chez une amie à Londres, mais elle ne veut pas en abuser. Elle quitte la capitale britannique et se dirige vers Liverpool où un ami d’ami doit la loger. Mais le plan capote, elle n’a plus nulle part où aller. Épuisée, désespérée, Caroline se laisse alors tomber sur un banc devant une église, l’église Saint-Anne. Un prêtre la voyant pleurer, la prend en pitié. Il l’envoie à l’ »Asylum Link Merseyside ». L’association, qui ne peut pas faire grand-chose pour sa situation administrative, lui offre en revanche un peu de répit, le réconfort dont elle avait besoin pour continuer. « Quand tout devient compliqué, au moins, je peux venir ici », confie-t-elle. « Je peux quand même apporter quelque chose aux autres ».
Il y a quelques temps, Caroline s’est à nouveau retrouvée à la rue. L’ALM lui a trouvé un hébergement d’urgence temporaire dans un de ses locaux. Aujourd’hui, Caroline est toujours sans papiers. Elle dit regretter d’être venue au Royaume-Uni même si elle sait qu’elle n’a pas eu le choix. « Personne ne veut quitter son pays ». Au Congo, Caroline a fait des études de médecine. « J’avais de l’ambition, des rêves… J’imagine qu’on ne peut pas décider de tout. Je ne vis pas la vie que j’avais imaginé ».
Son regard balaie la pièce, tristement. « Depuis que je suis ici, je n’ai affronté que des épreuves ». « Toutes ces années gâchées … Enfin, peut-être pas gâchées », se reprend-t-elle. « Un jour je comprendrai pourquoi je vis tout ça. Dieu me dira pourquoi Il m’a fait traverser toutes ces épreuves ».
« Qu’est-ce que veut le gouvernement exactement ? Qu’ils meurent ? »
Depuis sa création en 2008, l’ »Asylum Link Merseyside » s’est agrandi. L’association compte désormais sept employés. Chaque année, ils reçoivent entre 200 et 300 personnes démunies, comme Caroline. Mais il y en a bien plus qui restent dans l’ombre, plusieurs milliers à travers le territoire, selon l’association.
Ewan Roberts, le directeur de l’ALM, reproche au gouvernement anglais de durcir la législation à l’égard des migrants. En 2012, les Britanniques ont en effet lancé la politique de « l’environnement hostile à l’immigration ».
« Il s’agissait d’encourager les propriétaires, les employeurs, les médecins, à contrôler la régularité du séjour de leurs salariés, locataires et patients, les ‘suspects’ étant de fait repérés par leur couleur de peau, leur accent ou leur lieu de naissance », explique Le Monde.
« Donc quand les migrants n’obtiennent pas le statut de réfugié, ils se retrouvent dans une impasse totale », continue Ewan Roberts. « Ils ne peuvent pas travailler, ils ne peuvent pas se loger. Ils sont coincés ». En parallèle, « ils sont priés de quitter le sol britannique, mais personne ne le fait. Il y a peu de suivi. Résultat : les migrants deviennent des SDF. Ils se battent pour survivre. Au début, ils comptent sur des amis, puis ils se marginalisent. Pour survivre, ils se livrent aux trafics de drogues, à la prostitution. Le gouvernement attend quoi exactement ? Qu’ils meurent ? »
Attendre 20 ans avant de pouvoir être naturalisé
Depuis qu’elle est en Angleterre, Caroline vit donc dans l’ombre, comme beaucoup d’autres. Au Royaume-Uni, les sans-papiers ont la possibilité d’être naturalisé après 20 ans de présence sur le sol britannique. Caroline doit encore attendre sept ans. Sept années de galère.
Quand sa mère est morte, Caroline n’a pas pu retourner au Congo-Brazzaville pour les funérailles. « Ça l’a brisée », confie Ewan Roberts.
Un jour, le directeur de l’association l’a surprise, à l’aube, en train de marcher dans la rue. Il était 5 heures du matin. « Je devais passer la prendre. J’ai compris que Caroline se levait en pleine nuit pour aller marcher … Je pense que, parfois, elle n’arrive pas à s’allonger dans son lit, elle n’arrive pas à faire face à tous ses démons intérieurs ».
Ces dernières semaines, l’association a recommencé à travailler sur le dossier de Caroline pour retenter une demande d’asile. Depuis cette nouvelle, Ewan l’a surprise à sourire. Caroline aussi a confié reprendre du poil de la bête. Elle dit ressentir une nouvelle énergie qui l’aide à se lever le matin. Sa mère sûrement, pense-t-elle. Sa mère qui, là-haut, lui dit de rester forte et de continuer à se battre.