L’étude de Tuskegee sur la syphilis, entre 1932 et 1972, le gouvernement des Etats-Unis a utilisé 623 hommes comme cobayes à leur insu dans le cadre d’une expérience médicale.
Ces cobayes étaient des hommes Afro-américains, pour la plupart pauvres et sans éducation.
L’étude a été amorcée par le Service de santé publique des Etats-Unis en 1932 dans le but de collecter des données sur les effets de la syphilis lorsqu’elle n’est pas traitée.
Quelque six cents hommes Afro-américains résidant dans des zones rurales autour du Comté de Macon, dont le siège de Comté se nomme Tuskegee, sont les sujets de cette étude.
Plus de la moitié des hommes choisis étaient sans le savoir atteints de syphilis et les autres formaient le groupe de contrôle, c’est-à-dire le groupe des individus non concernés par la manipulation expérimentale.
S’il est vrai qu’au début de l’étude, il n’existe guère de cure efficace contre la syphilis, dès les années 1940, la profession médicale connaît la grande efficacité de la pénicilline comme traitement antisyphilitique.
Avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, cette substance antibiotique prodigue une cure facilement accessible et peu coûteuse.
Et pourtant, pendant plus de vingt ans, les autorités chargées de cette étude priveront de traitement la majorité souffrante des participants ignorant tout de la conspiration.
La nouvelle, ahurissante outre le caractère raciste de l’expérience, a le mérite de souligner une injustice raciale perpétrée par le gouvernement fédéral, présumé moins raciste que les gouvernements des Etats ségrégationnistes du sud.
En 1930, il y a 27 000 habitants et 80% de la population est noire dans le Comté de Macon.
La ségrégation est alors en vigueur dans tous les compartiments de la vie publique.
Pour faire bonne mesure, durant la période de la première phase de l’étude, des noirs se font lyncher, la vie de ces derniers ayant peu de valeur aux yeux de la majorité dans l’Alabama.
C’est à la même époque qu’eut lieu l’affaire des garçons de Scottsboro dans laquelle deux femmes blanches accusèrent plusieurs noirs de les avoir violées.
L’Institut Tuskegee
La présence de l’Institut de Tuskegee, dirigée du début des années 1880 à 1915 par Booker T. Washington, le leader noir américain le plus influent du tournant du siècle, entraîne la présence d’une communauté noire américaine plus instruite que la moyenne à Tuskegee.
Cependant, la plupart des noirs du Comté de Macon vivent des travaux de la ferme soit comme propriétaires soit comme employés de propriétaires terriens de race blanche.
La culture dominante reste à l’époque celle du coton.
En vue de comprendre l’étude de Tuskegee sur la syphilis, il est important de saisir que les hommes choisis pour servir de cobayes provenaient de la culture du coton des années 20.
Ils étaient pour la plupart très pauvres, peu instruits, travaillaient dur dans des conditions économiques pénibles et tendaient par habitude à de soumettre aux figures d’autorité et aux porteurs d’uniformes (policiers, médecins, infirmiers et infirmières).
Quelles sont les origines de l’étude ?
La syphilis est une maladie causée par une bactérie vivant exclusivement dans l’organisme humain et qui se transmet d’une personne à l’autre via des rapports sexuels.
Cette maladie s’attaque aux systèmes neurologique et cardiovasculaire, ce qui peut endommager le cœur, le cerveau, la moelle épinière, la peau, les os et les organes.
Il est possible que le cœur lâche ou que le malade développe des troubles mentaux, devienne aveugle ou sourd, entre autres.
Bien que certains malades ne connaissent pas de symptômes sévères, d’autres voient leur corps dévasté par la maladie infectieuse.
Les attaques de la maladie sur les vaisseaux sanguins et le cœur peuvent provoquer l’éclatement d’anévrismes, entraînant ainsi une mort subite du malade.
Le projet commence sous l’autorité du Fond Julius Rosenwald, du nom d’un philanthrope de confession juive ayant à cœur l’éducation et la santé des Afro-américains du sud rural.
Il fut un protecteur de Booker T. Washington et de l’Institut Tuskegee et finança la construction d’un grand nombre d’écoles dans des parties du sud où les noirs avaient accès à une éducation faible lorsque cette dernière existait.
La fondation Rosenwald professe l’amélioration des relations entre les races en général aussi bien que le traitement de problèmes spécifiques auxquels font face les Afro-américains dans les états du sud.
Au début des années 30, il y a un grand nombre de cas de syphilis dans le Comté de Macon.
Les investigations de la Fondation Rosenwald associé au Service de Santé publique indiquent que le taux d’infection y est de 36%, soit le taux le plus élevé parmi les six comtés étudiés.
Les personnes impliquées dans l’étude se rendent compte que le problème de santé publique qu’est la prévalence de la syphilis requiert des sommes considérables d’argent public et un grande détermination collective.
Cependant, la Grande Dépression s’aggravant, il y a peu de ressources financières à allouer au projet.
Les dirigeants du Fond Rosenwald, voyant descendre la valeur des atouts du Fond à la bourse, votent en faveur de l’arrêt du programme de traitement de la syphilis au printemps 1932.
Le fait qu’il y ait tant de cas de syphilis non traitée dans le Comté de Macon rend possible un tout autre type d’expérience médicale.
Un certain Docteur Taliaferro Clark se mue alors en avocat influent de l’Etude de Tuskegee sur la syphilis non traitée chez l’homme noir.
Les hommes furent choisis plutôt que les femmes car leurs organes sexuels sont externes et qu’il est plus facile pour eux mêmes et pour les médecins de suivre l’évolution de symptômes apparaissant sur les parties intimes.
Dès le début du programme d’observation du non-traitement de la syphilis chez l’homme noir, le parti est pris de faire croire aux malades qu’il ne s’agit que d’un programme de santé publique sans jamais leur apprendre la nature du mal dont ils souffrent.
L’étude requérait qu’on leur mentît en leur notifiant de faux diagnostics et en faisant mine de leur prodiguer des soins.
Les efforts caritatifs couronnés de succès de la Fondation Rosenwald lui valaient la bonne volonté et la coopération des fermiers et laboureurs.
En octobre 1932, le Service de santé publique des Etats-Unis, avec la coopération des agences de santé publique de l’Alabama, et l’apparente approbation des autorités médicales locales, étatiques et nationales affectées au traitement des maladies vénériennes est enfin prête à s’embarquer dans un programme de non-traitement de la syphilis chez l’homme, afin d’observer les effets de l’inaction.
Ainsi fut lancée l’expérience de Tuskegee qui se poursuivit pendant quarante ans.
Ce n’est qu’en 1972 que les survivants de l’étude apprennent via les médias qu’ils ont été des cobayes de l’étude de Tuskegee.
De la genèse de l’étude à sa révélation via les médias, le grand public du Comté de Macon n’a pas connaissance de l’étude.
Seul un nombre réduit de médecins est au fait de l’expérience, quelques-uns d’entre eux étant de longue date familiers des examens périodiques des cobayes de l’expérience.
Il plus tard été divulgué que les docteurs du Comté se Macon et des comtés environnants avaient reçu des listes d’hommes auxquels il ne fallait guère procurer de pénicilline pour traiter la maladie.
Cependant, rares étaient les individus ayant une connaissance spécifique de l’étude.
Peter Buxtun, employé du Service de santé publique, travaillait à San Francisco au milieu des années 60 comme interviewer et enquêteur sur les maladies vénériennes.
Il entendit par hasard parler de l’étude de Tuskegee. Choqué, Buxton s’inquiète du sort de ces hommes non traités t de la façon dont l’étude est menée.
Sur une période de plus de trois décennies, des vingtaines de médecins et associés se sont succédé aux manettes de l’étude.
Des journaux médicaux ont publié des rapports, probablement lus par des milliers de médecins et de chercheurs.
Buxtun et un docteur du nom de Schatz seront les premiers à être amenés par leur sensibilité éthique à condamner l’étude et à la dénoncer.
Le 27 juillet 1972, M. Pollard, l’un des cobayes de l’étude de Tuskegee, se présente chez Fred Gray, avocat des droits civiques, prédicateur et activiste politique noir exerçant dans l’Alabama, Etat du Sud des Etats-Unis, qui accepte de le représenter dans une action en justice intentée contre le gouvernement et les autorités légalement responsables d(avoir administré et maintenu l’expérience.
Les investigations des accusateurs prouveront notamment que le gouvernement fédéral était impliqué dans la forfaiture, que le Service de santé publique empêchait les participants d’être traités par les cliniques de santé publique ou d’autres institutions susceptibles de leur procurer les soins appropriés, que les médecins et infirmiers procuraient aux syphilitiques de grandes quantités d’antalgiques tels que l’aspirine ou la codéine afin de les pousser à rester dans le programme, sachant que les participants croyaient qu’il s’agissait de traitements appropriés à leurs souffrances.
Les investigations ont démontré que les médecins poursuivaient leur expérience en dépit du fait que les rapports médicaux indiquaient sans équivoque une mortalité plus rapide et des taux plus élevés de morbidité cardiaque chez les syphilitiques non traités.
Un accord sera trouvé autour d’une compensation à concurrence de $10 millions pour les cobayes survivants et les héritiers des cobayes décédés.